Ce qui m'a enchantée dans cette deuxième édition du projet de médiation interculturelle « Broder ses racines », maintenant dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, c'est l'impression de revenir à l'époque de l’établissement européen de Montréal. Par exemple, en découvrant que les noms de rues comme Décarie ou Prud'homme rappellent les familles fondatrices du quartier, évoquant leur présence multigénérationnelle.
J'ai également trouvé dans les récits écrits de ces premières familles canadiennes françaises des témoignages mentionnant des chemins ancestraux déjà tracés par les Premières Nations qui ont parcouru et occupé de façon temporaire l’ensemble de l’île, connue en langue kanien’keha sous le nom de Tiohtià:ke, « Là où le groupe se sépare », ou Minitik8ten entag8giban en algonquin, « l’île où il y avait une bourgade ». Je suis particulièrement interpellée par le cas précis du long tracé qui devint le chemin de la Côte-Saint-Antoine, élargi par les familles Hurtubise et Décarie pour le passage des carrosses.
J'ai aussi été surprise de constater à quel point ces différentes couches d'histoire se trouvèrent rapidement brouillées par l'oubli et l'urbanisation, tout comme les noms des lacs et des ruisseaux cachés aujourd’hui sous les chemins d’asphalte. Au fil des séances partagées avec les participantes de ce projet, nous nous sommes plongées dans les traces du passé rural du quartier, entourées de pommiers et de melons mythiques, d’anciens couvents devenus écoles, et découvrant jusqu'à ces fermes converties en bâtiments coopératifs pour les vétérans, lieux d’une vie communautaire attachante mais bientôt rattrapée par la grande ville : d'abord par le tramway, puis par la voiture. Cette grande ville instaurera aussi de nouvelles limites territoriales qui sont souvent transcendées par les habitants du quartier, comme s’ils vivaient encore dans le vaste territoire paroissial d'origine.
J'espère que partager notre broderie des souvenirs photographiques de ce quartier rappellera que broder n'est pas réparer, mais compléter en ajoutant nos propres significations. Et nous pouvons peut-être nous broder ici, de manière symbolique, faisant se rencontrer les fils de notre présent et de notre avenir avec les racines du tissu ancestral de cette grande île, nous sachant partie intégrante de ce récit, en tant que transmettrices et gardiennes de ses histoires.
Yaen Tijerina
MMXXIV
Texte pour l'exposition « Broder ses racines NDG », juin 2024.
Projet réalisé en collaboration avec PAAL Partageons le Monde.
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« Je suis une artiste visuelle, originaire du Mexique. Je travaille depuis 2002, la plupart du temps en autoportraits photo, inspirés par les symboles de l’inconscient collectif, ses archétypes féminins et par l'esthétique des anciennes techniques de photographie.
Le projet “𝐁𝐫𝐨𝐝𝐞𝐫 𝐬𝐞𝐬 𝐑𝐚𝐜𝐢𝐧𝐞𝐬” est né du sentiment d'appartenance qui a découlé de mon immersion dans l'histoire de mon quartier Ahuntsic, des points communs que j'y ai trouvés avec l'histoire de ma ville d'origine et du refuge que j'ai trouvé auprès de ses bâtiments patrimoniaux. Le projet s'enracine aussi dans une exploration récente de la charge symbolique autant qu'historique de la tradition de la broderie dans l'affirmation de l'identité, ainsi que dans la valeur humaine universelle véhiculée selon moi par les photographies historiques, avec leurs histoires éloquentes et silencieuses à la fois.
Je voudrais continuer à découvrir la complexité de cette ville où tant de cultures et d'histoires convergent, et aider aussi à créer des ponts pour mieux se connaître. Je veux aussi apprendre à transmuter les barrières qu'implique cette complexe transplantation qu'est l’immigration en forces et en nouvelles racines, et partager à travers l’art les découvertes faites à travers cette expérience. »